L'enui, avec l'ennui, c'est que ça vous tombe dessus sans prévenir, au moment où vos vous y attendez le moins : Dans une queue de cinéma, à la caisse d'un magasin, au milieu d'une conversation animée, ou seul au beau milieu de votre salon…Rien ne semble avoir changé, tout est pareil à la normale, mais soudain, alors qu'hier encore vous vaquiez à vos occupations sans vous poser de question, un grand vide s'empare de vos entrailles, vous broie les méninges et vous aspire vers le rien. Et là, vous ne pouvez faire autre chose que ce constat terrible : vous vous ennuyez. 

"J'm'emmerde", est la réflexion la plus couramment employée entre soi et soi à ce moment là. C'est comme si votre cerveau pointait tout ce qui manque : un ami, un sujet intéressant, une passion, de l'entrain! Et puis vous réalisez qu'en fait, ces éléments extérieurs ne changent rien à l'affaire. Car en réalité, "J'm'emmerde" signifie juste : "J'ai envie de rien". Réaliser celà, c'est comprendre qu' avoir envie de rien, c'est avoir envie de quelque chose. C'est déjà ça. Car le rien, c'est énorme. C'est faire le vide dans une vie bien remplie, se ressourcer en laissant sa pensée divaguer, rêver sans but, se laisser errer, pour une fois.

On dit volontiers qu'il est bon, parfois, pour les enfants, de s'ennuyer. Et pourquoi pas pour leurs parents? Laissons nous nous emmerder sans culpabiliser. Il sera bien temps de se remettre à pédaler, demain?

Elle s'apprête à attaquer une crêpe nappée de crème caramel au beurre salé :

- C'est bon, j'en ai assez des régimes "sans" : sans sucre, sans sel, sans matière grasse, sans alcool…Il est où le plaisir là dedans? Et puis il y a aussi le sexe sans envie, le boulot sans y croire, les jours sans surprise…RAZ LE BOL! Alors à partir de maintenant, j'adopte le régime AVEC : ça commence par le sucré, si je veux quand je veux, et ce n'est qu'un début.

Elle avale une énorme bouchée, savoure, les yeux fermés, et formule, la bouche pleine :

- La vie chans che faire chier, ça doit bien être pochible, non?

Et si on arrêtait de stresser à cause du stress? Et d'abord, c'est quoi ce mot? Stress vient du latin, "stringere", qui signifie "être en tension". C'est une réaction émotionnelle et physique devant la nouveauté, quelle qu'elle soit : choc, nouveau boulot, nouvelles contraintes qu'on ne maîtrise pas, rendez-vous important, rencontre bouleversante, et nous voilà l'estomac noué, le souffle court, et les jambes molles.

Premier constat : Le stress, c'est de la vie, et rien que de la vie. C'est la preuve palpable que vous allez bien, puisque vous ressentez des émotions.

Deuxième constat : la vie, par définition, c'est l'inconnu permanent. Qui peut prédire ce qu'il va se passer dans la minute? 

Donc, c'est normal, et même souhaitable, de réagir face à ces situations nouvelles en permanence, et de ressentir des émotions. 

Ces réactions sont des indicateurs, et surtout de puissants moteurs : le stress avant un examen permet d'avoir envie de réussir, le stress d'un premier rendez-vous amoureux nous rend sensible, le stress des factures à payer nous incite à faire attention à nos dépenses…

Il y a donc un effet vertueux du stress, vitale même.

Le problème c'est qu'on emploie le mot stress uniquement dans un sens négatif. Comme si dans un monde en perpétuelle mutation on devait être des robots insensibles à la tâche, parés à toute épreuve. Or le stress qui rend malade, c'est de la peur. Et le propre de la peur, c'est de nous avertir des dangers, pour mobiliser toutes nos forces.

Alors, je vous le demande : n'est-ce pas normal d'avoir peur d'être viré du jour au lendemain? De pointer à Pôle Emploi sans aucune visibilité? D'être dirigés par des leader qui ont encore plus peur? De grandir sans trouver sa place? De se sentir seul? De voir la vie défiler à toute vitesse?

Si, c'est normal, et même humain d'avoir peur. Et s'avouer qu'on est mort de trouille, c'est arrêter d'être victime du stress, reprendre toutes ses forces vives, et se lancer à l'assaut des démons. 

Il hume l'air en écartant loin les bras, prend un grand souffle, et lance, heureux de sa découverte :

- Ah avec elle je revis tu comprends! Je prends conscience de tout ce que j'avais oublié. Je réalise à quel point je m'étais oublié moi-même. Avec elle, l'amour, c'est gai. ça devrait être ça le mariage, à la base : de la joie, un truc joyeux. Quand on réalise que le plus important à préserver, c'est la gaieté, tout est possible. Si elle veut, je suis même prêt à me remarier. 

Puis, ivre de joie, il lance aux passants amusés : "Vive le mariage gai pour tous! Entre hommes, entre femmes, entre nous, on s'en fout, mais fabriquons de la joie bon sang!"

Et il se met à chanter.

On reproche souvent aux QQ en crise d'être des adolescents attardés. Même sensation de vertige face à tous les désirs de possibles, même égo, même sentiment d'être seul, voire incompris…Jusqu'à l'acné qui vient parfois étoiler également le QQ stressé. La faute aux hormones de la mutation. Car QQ et ados ont ceci en commun au fond : la mue. Ils se retrouvent chacun à un tournant de leur vie, avec des envies de réalisations, des grandes interrogations, et l'impression subite que le changement, c'est maintenant ou jamais. 

Cet effet miroir entre ados et adultes donne parfois des choses troublantes qui seraient pathétiques si elles n'étaient pas avant tout normales et amusantes. 

En effet, vous rentrez d'une fête à 5 heures du matin, passablement éméchée, vos escarpins à la main, un peu penaude et soucieuse de ne réveiller personne. Vous ouvrez la porte, vous rentrez sur la pointe des pieds, et là, la lumière s'allume, et une voix vous dit par derrière : "Ben alors, t'étais où?"

Passée la frayeur, vous vous retournez, et découvrez votre grand ado de 17 ans, en pleine inspection nocturne du contenu du frigo. 

Il avise les talons à votre main, vos joues roses, vos cheveux ébourriffés d'avoir trop dansé, prend un air désespéré, vous sourit avec une tendresse désolée et vous lache :

- Pfeu…bon ben j'espère que tu as passé une bonne soirée? Tu penseras à racheter des Chocapic demain? Enfin, si tu arrives à te lever avant midi…Oh et ne dis rien, tu sens la cigarette, tu as repris, c'est malin! Allez, dors bien!

Et il tourne les talons. 

Là, deux solutions :

- Vous sentir coupable de ne pas être une mère parfaite,

- Ou vous écrouler sur votre lit avec le sourire, en vous disant que c'est ça aussi le bon côté du vieillissement : les enfants grandissent.

Coup de fil du dimanche soir :

- Je suis dans la merde. Tu sais pas ce qu'il m'a dit? Il veut qu'on vive ensemble!

- Mais c'est merveilleux ma chérie! Tu en rêvais!

- J'en rêvais, j'en rêvais…t'es marrante! A nous deux on a quatre ados entre 13 et 15 ans, alors là, au pied du mur, j'en rêve moins, je t'assure! Je vois ça d'ici : Qui va faire des tonnes de pâtes carbonara? C'est Bibi! Qui va se taper 10 machines par semaine? Bibi! Qui va se coltiner deux fois plus de réunions parents/profs? Encore bibi! Sans compter les caddies titanesques au supermarché, parce que quatre garçons, ça te vide un frigo en deux jours…non, rien que d'y penser, j'en ai la nausée…Et puis, tu sais, je m'étais habituée au fond à ma semaine sur deux de célibat…Comment je vais faire pour regarder "Sur la route de Madison" à deux heures du matin, me prélasser dans des bains de déesse à l'heure du dîner? Passer des coups de fil de trois heures avec les copines? Trainer en terrasse au printemps, et dormir en étoile si je veux, tartinée de serum antirides ? Non, je crois que la famille recomposée, c'est encore un truc de pubs pour nous faire acheter plus de céréales. Déjà c'est pas simple de se recomposer toute seule, alors avec lui, non merci!

Elle touille son café avec la petite cuillère.

- Les enfants, c'est fait. La maison à la campagne, c'est fait. Le mariage, c'est terminé. Le boulot que je voulais, c'est fait. La paix avec mes parents, c'est fait. L'amour, je l'ai retrouvé. Alors aujourd'hui, je regarde loin. 40 ans encore à passer…C'est quoi l'objectif? 

Ecrasés par le poids des responsabilités, des emmerdes et des Autres, la plupart des QQ souffrent d'inquiétude chronique. Le paradoxe c'est qu'abonnés aux angoisses, ils s'inquiètent parfois pour de mauvaises raisons, et se laissent endormir par des paroles apaisantes. A quoi reconnait-on une parole apaisante? Elle commence en général par cette formule : "Ne t'inquiète pas."

Or si votre interlocuteur éprouve le besoin de vous enjoindre de ne pas vous inquiéter, c'est qu'il sent bien qu'en réalité, vous auriez toutes les raisons de le faire. Exemples avec traduction simultanée :

- Votre patron : "Ne vous inquiétez pas, je vous demande encore un effort, cette promotion vous l'aurez dans 6 mois". Traduction : "C'est le bordel dans la boîte, on n'a aucune visibilité, c'est pas le moment de t'augmenter vu qu'on va peut être te virer dans 6 mois".

- Votre ado : "T'inquiète! C'est juste une petite fête pour l'anniversaire d'un pote. Je dors chez lui de toute façon". Traduction : "Mon pote a un pote qui a un pote dont les parents partent en week-end. On va faire une fête à tout casser et rentrer déchirés."

- Votre compagne (ou compagnon) : "Je vais rentrer tard, ne t'inquiète pas, il y a un pot au bureau." Traduction : "J'ai besoin de respirer, voire de déconner, je vais m'énivrer dans un afterwork avec quelques complices histoire d'oublier que je suis QQ."

- Vos parents : "C'est un tout petit malaise, ne t'inquiète pas, on voit le médecin demain". Traduction : "On a eu très très peur. On attend les résultats des analyses avec angoisse et on se sent bien seuls."

En résumé, quand vous entendez "Ne t'inquiète pas", c'est un signal d'alarme. Le reste du temps, dormez sur vos deux oreilles, histoire d'être au top pour gérer la crise! 

J'ai 15 ans. Je me suis réveillée ce matin à 6h30 avec NRJ. Il fallait que je parte tôt parce que la prof de Français est encore en dépression, on va au café avec les copines. Douche, brushing, BB crème de maman, mascara de maman, pull de maman, boucles d'oreilles de maman (elle dort encore), un bol de Chocapic et c'est parti, avec Robbie Williams dans les oreilles. J'ai piqué aussi deux clopes à maman pour fumer devant le lycée. Textos sur le chemin. Facebook au café avec les copines. Cours de maths. Je dessine des I love you sur mon agenda. Cours d'espagnol, le prof est trop beau, je rêve en le regardant, avec Robbie Williams dans la tête.

Cantine. Je fais des pieds et des mains pour me mettre à côté de Joachim, un grand de 16 ans qui ressemble un peu au prof d'espagnol. Je mange le pain et le yaourt, et je file en permanence envoyer des textos avec les photos du déjeuner. Cours de gym. Je me plie en deux, le prof croit que je suis indisposée et me laisse sur le banc. J'arrive à textoter en douce avec Joachim, qui est en cours de physique. Cours d'anglais, j'aime bien, je vais au tableau, histoire de pouvoir comprendre les paroles de Robbie Williams ce soir.

17h. Je fume ma deuxième clope à la sortie du lycée. Joachim me sourit en passant, pari gagné! Retour à la maison. Je m'enferme dans ma chambre. Musique, texto, miroir, facebook, vernis à ongles…comme d'hab. Le dîner est prêt. Du poulet. Avec des haricots. Cette manie de faire des légumes! Maman me pose des questions auxquelles je réponds par "oui" ou par "non". Je lui demande de l'argent pour un MacDo demain. Elle dit "non". Pas cool! Rechambre. J'expédie mes exercices dans mon lit, ça ira bien. Je passe une heure à traduire la chanson de Robbie Williams, j'adore l'anglais!

21 heures. Maman vient me dire bonsoir. Elle me trouve fatiguée, dit que j'ai des journées chargées…Ce qu'elle ne sait pas, c'est que j'écoute la radio tous les soirs jusqu'à minuit. Impossible de m'endormir sinon. 

Elle se penche pour me faire un baiser. Je vois ses rides au coin des yeux, toutes neuves, ses yeux cernés, son grand sourire courageux. Et je me dis que ça fout la trouille de grandir. 

Hier soir, au Video club. Une cliente, jolie QQ bobo fatiguée, et un jeune vendeur, petites lunettes-queue de cheval.

- Vous pouvez me conseiller? Je cherche un film pour ce soir, et je n'ai aucune idée…

- Genre quoi le film?

- Genre dépressif…

-Ah! Dépressif? Well! Y'en a notez bien, yen a…Mais du dépressif qui veut juste être mélancolique ou du dépressif qui veut aller au fond de la piscine?

- Genre qui veut aller au fond de la piscine.

Il la regarde. Elle a un sourire triste. Il hésite à la prendre dans ses bras. Il est gêné et très investi à la fois. 

- Alors…pour le fond de la piscine, moi je vous conseille ce film nordique, "31 août". Sublime et très, très dépressif. Mais sublime quand même hein!

- Et ça enfonce bien la tête sous l'eau?

- Ah ça l'enfonce bien oui : désespoir, asphyxie, palpitations, angoisse, ya tout. 

- Je prends!

- Vous donnez un coup de talon, vous remontez, et vous revenez demain?